L’une est avocate féministe au barreau de Nantes et activiste engagée contre les violences faites aux femmes. La seconde se dit « artiviste » : avec son association Résonantes, elle utilise le slam pour libérer la parole des jeunes face aux violences. Ensemble, les deux nantaises Anne Bouillon et Diariata N’Diaye nous livrent leurs points de vue, particulièrement fières que les premières Assises nationales de lutte contre les violences sexistes se tiennent dans leur ville.
Anne Bouillon et Diariata N’Diaye interviendront ensemble le vendredi 25 novembre, en ouverture de la journée consacrée aux professionnels.
Que pensez-vous de ces Assises, pourquoi y participer ?
Anne Bouillon : Si on ne m’avait pas invitée, je m’y serais invitée, c’était une évidence ! Tous les jours, je suis en lutte contre le sexisme, contre le patriarcat et je suis très fière de voir que ma ville se mobilise sur ce sujet. Ça n’est pas un hasard : nous sommes sur un territoire où l’on se dote de beaucoup d’outils pour combattre les violences faites aux femmes, où il y a une vraie réflexion des institutions judiciaires, des collectivités, la présence d’associations très actives dans le domaine.
Diariata N’Diaye : Moi aussi je suis hyper fière que ce soit à Nantes, je suis devenue encore plus chauvine que les Nantais d’origine ! Ces Assises sont une bonne nouvelle qui prouve que les violences sexistes sont devenues un sujet politique et de société et que ce n’est pas que l’affaire des femmes, mais bien le problème de tout le monde. C’est hyper important de prendre le temps d’échanger sur nos vies, nos parcours, nos victoires.
A quelle condition ces Assises seront-elles une réussite ?
D.N. : Les organiser est déjà une réussite en soi : on n’a jamais assez d’occasions de parler des violences faites aux femmes. Mais il faut aussi « passer la seconde » : faire de vrais trucs, pas seulement parler. #Metoo a donné une plus grande visibilité à la parole des femmes ; maintenant il faut dire avec quels moyens on agit, créer des lieux d’accueil comme Citad’elles un peu partout… Les décideurs doivent mettre des moyens financiers, on ne peut pas toujours compter sur le seul engagement des militants.
A.B. : Ces Assises seront une réussite si elles marquent une étape, qu’il y a un avant et un après, si on arrive à capitaliser nos expériences, à les dupliquer. Tous les 2 jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon : je n’arrive pas à me faire à cette idée qui me stupéfait. Les Assises doivent être l’occasion d’augmenter encore le seuil d’intolérance aux violences faites aux femmes.
D’où vient votre engagement féministe ?
A.B. : Jeune avocate, je faisais le constat empirique que les femmes venaient déposer des parcours similaires, malgré leurs différences. Puis j’ai rencontré des femmes qui avaient une analyse systémique et qui ont donné un corpus scientifique à ce que j’éprouvais. A partir du moment où j’ai chaussé cette vision féministe, ça a changé mon rapport au monde. Aujourd’hui, toutes les femmes que je défends me construisent comme féministe, c’est d’elles que je tire mon énergie. « Elles, c’est moi » et ce lien de sororité est une nouvelle étape dans mon engagement.
D.N. : J’ai toujours été engagée sur les violences sexistes et sexuelles. Comme beaucoup de personnes, c’est parce que j’y ai été directement confrontée. Je m’en suis sortie par l’art. Aujourd’hui, j’utilise mon art au service de cette lutte contre les violences : il déclenche des réactions chez les jeunes, il fait concrètement avancer les choses,. Avec Anne, notre style n’a rien à voir, on a des profils différents, ce qu’on fait est différent. Mais nos actions au service du féminisme sont complémentaires et les partager nous donne de l’énergie.
Avez-vous une actualité à nous partager ?
D.N. : Dans mes interventions auprès des jeunes lycéens, je continue à être interpellée par leur méconnaissance des violences. Mais heureusement, il y a de belles surprises. J’ai récemment demandé la définition du viol et un jeune garçon a répondu : « C’est quand un mari force sa femme à avoir des relations sexuelles ». Il a donné un exemple de viol conjugal, cela veut donc dire que ça avance.
A.B. : Mon actualité féministe, c’est l’Iran. La situation des femmes dans ce pays m’émeut aux larmes. Comme celle des femmes afghanes. Nous devons construire et faire grandir notre lien de sororité. Même quand nous ne sommes pas toujours d’accord, nous devons avancer sur ce chemin tout en étant attentives à ne pas nous entre-dominer.
Si vous pouviez prendre une mesure phare pour lutter contre le fléau des violences sexistes, laquelle serait-ce ?
D.N. : Si j’étais ministre de l’éducation – malgré son nom, il n’est pas de ma famille ! – j’inscrirais 2 heures de discussion ouverte obligatoire par semaine au programme des lycéens. A 15 ans, le débat vient naturellement sur les relations garçons filles et les violences. Les adultes violents sont souvent des enfants qui ont subi des violences, il faut donc agir au plus tôt et créer des espaces de discussion.
A.B. : Je créerais des juridictions spécialisées, comme en Espagne où elles sont en place depuis 2004. Quand les greffiers, quand les magistrats sont formés aux violences sexistes, les choses sont traitées telles qu’elles se sont réellement passées, sans sous-entendre que la femme est responsable de ce qui lui arrive. Ça change tout.
Leurs conseils lecture et cinéma
Anne Bouillon : King-Kong Théorie de Virginie Despentes.
« Il y a pour moi un avant et un après ce livre. Il m’a vraiment mis le cerveau à l’envers, m’a construite .»
Diariata N’Diaye : Touchées d’Alexandra Lamy.
« Je viens de tourner une émission avec Alexandra Lamy, Balance ton #. J’ai découvert son très beau film – « Touchées » – qui raconte le parcours de reconstruction de femmes victimes de violences. »