L’autrice « afropéenne » Axelle Jah Njiké vient de sortir son « Journal intime d’une féministe (noire) ». Elle est aussi podcasteuse : Me My Sexe and I, La fille sur le canapé, Je suis noire et je n’aime pas Beyoncé et milite au Groupe pour l’Abolition des mutilations sexuelles féminines (GAMS). Elle sera à Nantes le samedi 26 novembre pour la journée grand public des Assises nationales de lutte contre les violences sexistes.
Que pensez-vous de ces Assises, pourquoi y participer ?
J’ai trouvé l’initiative géniale, de faire se croiser actrices et acteurs locaux et nationaux car il n’y a pas les « sachant » en haut et les gens du terrain en bas. Avoir réussi à réunir tout ce petit monde à Nantes, c’est un véritable exploit et une réussite en soi. C’est très gratifiant pour moi de faire partie d’une distribution pareille. Et puis, j’aime bien l’idée d’Assises : ça montre que c’est un sujet majeur, une question d’importance pour tous. C’est une initiative locale qui fait bouger les lignes, alors qu’on aurait pu penser que c’était à l’État de l’organiser. Et ce serait bien que ça puisse se dupliquer dans d’autres villes à l’avenir, pour mettre en valeur les gens et les initiatives dans les territoires.
Le 26 novembre, vous interviendrez dans une plénière sur la systémie des violences. Pour dire quoi ?
Aujourd’hui, je suis identifiée grâce au podcast La fille sur le canapé, comme l’une des porte-voix des violences sexuelles au sein de la famille, dans les communautés afro-descendantes francophones. Je les ai rendues audibles et j’ai contraint à un regard collectif sur la question, en rappelant qu’au sein des communautés noires comme ailleurs, ce sont des frères, des pères, des fils qui nous agressent nous les filles, les mères, les sœurs. Et plus on sera nombreuses à témoigner, plus on verra l’aspect systémique de ces violences. C’est important d’entreprendre ce travail de parole pour que d’autres trouvent le courage de parler. C’est aussi une démarche thérapeutique, pour se soigner en s’écoutant, en se parlant. Mais il manque aussi des voix qui n’ont pas encore rejoint la conversation : je pense aux personnes en situation de handicap, aux voix du côté du Maghreb, des pays asiatiques…
D’où vient votre engagement féministe ?
J’ai toujours été féministe : la façon rude dont j’étais traitée enfant m’a toujours parue injuste, j’ai grandi avec la certitude d’être remise à ma place parce que née fille. Et puis, à 25 ans, la découverte du récit de vie de ma mère a fait de moi une féministe engagée. J’ai découvert son mariage forcé à 12 ans au Cameroun et son choix fort de m’envoyer en France lorsque j’avais 6 ans, de se séparer volontairement de moi pour que je n’ai pas le même destin qu’elle. J’ai alors compris que sa vie incarnait à elle seule toutes les statistiques que je connaissais déjà.
Avez-vous une actualité à nous partager ?
Les chiffres du baromètre de la Fondation pour l’enfance sur les violences éducatives ordinaires, paru mi-octobre, m’ont retournée : plus de la moitié des parents disent crier très fort contre leurs enfants, un quart donnent encore des fessées. Ça devrait nous alerter. Quand on parle de violences, on ne dit pas assez qu’elles débutent enfant. On familiarise les enfants avec les violences dès leur plus jeune âge et on s’étonne qu’ils les reproduisent adultes ! Plus positif, j’ai beaucoup apprécié la couverture médiatique des 5 ans de #Metoo, prise très au sérieux, avec de vraies tentatives d’avoir un regard juste. Le portrait dans Le Monde par Christelle Murhula de l’initiatrice de #Metoo – l’afro-américaine Tarana Burke – m’a fait très plaisir. C’est essentiel de nommer toutes les actrices de cette lutte.
Quelle mesure phare prendriez-vous pour lutter contre le fléau des violences sexistes ?
Je mettrais en place un « permis de parentalité », comme un permis de conduire, pour lutter contre les violences dès l’enfance. Pourquoi cette chose si importante qu’est la parentalité ne fait l’objet d’aucun accompagnement, pourquoi on vous laisse faire seul avec votre enfant ? Il faut accompagner, mettre les adolescents dans une posture de réflexion par rapport au rôle de parent, pour qu’ils ne se sentent pas démunis le jour où ils le deviendront, pour que ça soit un vrai choix. Il faut remonter à l’éducation, la prévention des violences commence là.
Son conseil lecture
« Lettre à ma fille » de Maya Angelou
« Un indispensable de toute bibliothèque féministe. C’est ma figure tutélaire, celle qui a mis des mots sur le viol que j’avais subi enfant. Et qui m’a fait comprendre en voyant son parcours de vie, que je ne serais pas que « La fille sur le canapé »: elle m’a ouvert les possibles. »